AnimeLand : Tu signais Trantkat, et tu dessines désormais sous le nom de Kevin HERAULT, pourquoi ce changement ?
Kévin HERAULT : Oh, c’est bien simple, tout le monde connaissait mon vrai nom, c’était devenu une espèce de secret de polichinelle, alors autant que je signe enfin de mon vrai nom, il est si beau !
A.L. : Comment as-tu débuté dans la BD ?
K.H. : J’ai d’abord, comme beaucoup, débuté dans le fanzinat. Pendant mes années d’école, où j’avoue je m’ennuyais ferme, je passais mon temps à dessiner. J’étais tellement réfractaire que je me suis fait viré à la moitié de ma terminale. Le vrai démarrage en « presque » pro ça date de Tsunami. A ce moment là, je traînais beaucoup à la librairie Tonkam. J’ai montré mon travail à Olivier VATINE qui m’a encouragé à faire un book pour les éditeurs. Je suis allé chez Delcourt, sans succès, puis j’ai eu la chance de rencontrer Jean-Claude CAMANO qui m’a présenté Jean-David MORVAN. A ce moment là, Glénat cherchait à produire des albums dans une collection appelée Akira, nous avons proposé HK et un an après, le premier tome sortait !
A.L. : HK, c’était un format assez inhabituel en BD à l’époque…
K.H. : Oui, et c’était à la fois bien et très contraignant. Bien parce que Jean-David et moi pouvions sortir du format un peu limité des 44 pages traditionnelles. Nous pouvions développer bien davantage les histoires, changer totalement le rythme d’un album dit normal en se permettant des séquences plus longues, entrecoupées de silence et de scènes d’exposition qui laissaient bien se poser les choses. Nous avions pour objectif de réaliser un album par an environ, c’est à dire 136 planches ! C’est là que c’était contraignant. On était tout le temps le nez dans le guidon. Je n’ai pas décollé de ma planche à dessins pendant trois ans pour réaliser les trois premiers albums.
A.L. : 136 planches, ce n’était pas un projet coûteux pour l’éditeur ?
K.H. : C’était bien sûr un gros pari pour Glénat qui voulait surfer sur le succès d’Akira en créant une collection de jeunes auteurs sous une collection intitulée, précisément, Akira. On était pas super bien payé par rapport aux prix du marché, il fallait donc qu’on produise beaucoup. Il fallait que se vendent 25 000 exemplaires du premier tome pour que je touche des droits d’auteur. Et je n’ose dire que je n’en touche pas encore après huit ans ! Cette collection Akira ne s’est d’ailleurs pas poursuivie et je crois que HK a été la série qui a le mieux marché…
A.L. : Quel a été l’accueil du public à l’époque ?
K.H. : Détestable au début ! Les fans de manga ont trouvé que c’était un sacrilège et il y a eu une espèce d’unanimité négative sur le fait de faire du manga à la française. Je dois d’ailleurs dire qu’il existe encore une espèce de mépris latent, de la profession notamment, en direction des BD francophones qui ont un style proche du manga. On est un peu considéré comme des mauvais dessinateurs, c’est vraiment curieux. Moi je suis autodidacte, et je dessine ce que je sais dessiner. HK a été une super école, et j’y ai fait énormément d’expérimentations à la fois dans le trait et dans la mise en scène.
A.L. : Concernant ton style, pourquoi est-il si prononcé ?
K.H. : Quand je dessinais enfant, je refaisais ce que je voyais et j’ai tout de suite aimé les dessins animés japonais qui passaient à la télé. Ensuite, j’ai découvert les mangas dans les librairies, notamment à Tonkam. Le reste est facile à comprendre.
A.L. : Quelle a été la révélation ?
K.H. : Oh, là, c’est simple : un jour en haut d’une étagère était planqué un album de SHIROW Masamune, l’un des premiers Appleseed en anglais, c’était un import de la version américaine, et quand je l’ai pris en main, ça a été un véritable choc. Je me suis dit « wahou, quelqu’un arrive vraiment à faire ça ? » Là je me suis révélé à moi-même. C’était un truc aussi fort que je voulais faire !
A.L. : Tu as eu d’autres déclencheurs ?
K.H. : Oui, bien sûr, mais pas aussi fort que SHIROW. Akira m’a impressionné, tout comme l’Incal de MOEBIUS. Je trouvais l’idée de représenter des personnages avec des têtes d’animaux absolument géniale. Mes potes étaient à fond sur les comics, mais moi cela ne me bottait pas trop. Je préférais très nettement les mangas. J’ai ainsi découvert les oeuvres KOTOBUKI Tsukasa et de YAMASHITA Ikuto. Jean David MORVAN m’a aussi fait découvrir des mangas directement importés du Japon.
A.L. : Tu lis le japonais ?
K.H. : Pas un mot !
A.L. : Avec ton style, tu pourrais travailler au Japon ?
K.H. : Oula, là c’est une question difficile. J’ai eu l’opportunité de montrer mon travail à des mangaka lors de salons et de rencontres entre professionnels, mais de là à aller travailler là-bas… Le pré-formatage des manga m’effraie. C’est un boulot vraiment dur et tout le système qu’il y a derrière les studios, ça doit être super lourd comme pression. J’ai rien contre l’idée de travailler avec des assistants sur mes BD, mais c’est tout de même un autre état d’esprit. J’aimerai être publié dans ce coin du monde. J’ai d’ailleurs eu des contacts avec des éditeurs intéressés en Corée. Mais pour l’instant, rien ne s’est concrétisé. J’attends de voir…
A.L. : Lorsque tu étais membre du fameux studio 510 à Reims, où travaillent encore Jean David MORVAN et Philippe BUCHET notamment, il y avait bien un caractère studio, non ?
K.H. : Oui, c’est vrai. Lorsque je les ai rejoins pour développer HK, il y avait une émulation vraiment bonne. Il était toujours intéressant d’avoir l’un ou l’autre sous la main pour s’encourager, pour travailler sur des mises en scène, des dessins un peu difficiles… Et puis ça évitait d’être tout seul abandonné chez soit, il y avait un lieu de travail et un lieu de vie différencié, même si j’ai beaucoup vécu en dehors des heures de boulot avec ceux-là !
A.L. : Et tu as quitté le studio…
K.H. : Parce que j’ai pété un plomb. Les trois albums de HK ont laissé des traces. Le stress, la fatigue… Alors je suis retourné à ma solitude de dessinateur, et je suis donc rentré sur Paris.
A.L. : Et tes autres goûts, où se situent-ils ?
K.H. : Pour tout dire, j’ai des goûts très larges. En BD, j’adore ce que font, dans des styles différents, MARINI, GOOSSENS et Martin VEYRON. VEYRON est un raconteur d’histoire hors pair, il a un style qui va tellement bien avec les histoires qu’il raconte ! J’aime par dessus tout qu’on me raconte des belles histoires, avec des dessins et des ambiances réussis. Le dessin n’est pour moi qu’un outil pour raconter des histoires, mes histoires, et les partager avec un lecteur. Je trouve qu’il existe dans la production BD actuelle énormément de dessinateurs talentueux, mais qui font des albums qui ne racontent rien. C’est vraiment dommage…
A.L. : Tu scénarises HK désormais, sans parler des deux Tutti Frutti que tu as sorti chez Delcourt, et le corsé Agapé chez Vents d’Ouest, est-ce un besoin de liberté ?
K.H. : Concernant HK, il est arrivé un moment où Jean David et moi n’avions plus tout à fait la même vision du projet. Lui voulait revenir vers des histoires plus traditionnelles, et moi je voulais poursuivre mon expérimentation dans la mise en scène, très découpée, dynamique, fulgurante. J’ai donc repris l’histoire. Pour les autres, ce sont des envies très personnelles.
A.L. : Tu te sens de plus en plus scénariste ?
K.H. : Je veux essayer des choses différentes, m’ouvrir, et surtout raconter les histoires que j’ai en moi. J’ai repris les albums de HK et on les sort désormais chez Glénat reformatés. Ca m’oblige à regarder mon travail et à mieux réaliser les erreurs que j’ai réalisées. Reprendre la série seul est un challenge qui me va, c’est mon terrain d’expérimentation, mon bébé.
A.L. : Tu veux écrire pour d’autres ?
K.H. : J’y viens tout doucement. C’est une envie qui se concrétise en ce moment. Je travaille avec un jeune gars de 22 ans, Alfonso RECCIO, sur un projet qui mûrit doucement mais sûrement. On ne se précipite pas, on prend le temps de construire. J’ai aussi réussi à persuadé mon copain talentueux Mohammed LABIDI, qui bosse dans une boite de dessin animé sur Marseille, à tenter l’aventure de la BD. Pour l’instant, je reste discret sur ces points. Mais si vous êtes un dessinateur en quête de scénario, ça m’intéresse. Pour communiquer, allez consulter mon site Internet http://www.trantkat.com, vous saurez en plus en direct où j’en suis !
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