L’arrivée d’une nouvelle oeuvre d’Hiroaki Samura est toujours un événement. Après 30 tomes de l’excellent Habitant de l’infini et le sympathique one-shot Snegurochka, l’auteur nous revient dans un très surprenant diptyque bardé d’humour et teinté de fantastique.
Halcyon Lunch est-il un manga culinaire ? La question est régulièrement posée dans les 4e de couverture de la série. Mais rassurez-vous, nous somme loin du genre. Ici, Hiroaki Samura troque la finesse d’une dégustation pour nous servir une histoire qui sort des sentiers battus. Un rapide topo : Gen est un quadragénaire dont l’échec de sa vie est un présent de vérité générale. Le ventre vide, il élabore des plans plus stupides les uns que les autres pour gagner le moindre kopeck et se rassasier. Pour l’accompagner, Hyos, une espèce d’alien capable d’avaler tout et n’importe quoi : humains, meubles, animaux, épices, vêtements… Tout ce qui rentre fait ventre. Ensemble, puis rapidement rejoints par d’autre branquignols, ils mènent leur barque pour survivre… jusqu’a ce que Hyos et Triazole, le second extra-terrestre rejoignant la bande, annonce le véritable but de leur venue.
À vomir de rire
Quel petit bonheur que cet Halcyon Lunch ! Indépendamment de ce que nous pouvons penser des précédent titres de Samura, c’est un plaisir que de voir un auteur sortir de sa zone de confort. Le mangaka range les sabres et sa noirceur pour doper son récit d’humour et de démesure, s’amusant à régulièrement briser le 4e mur pour donner une dimension intemporelle à son histoire. Dès les premières pages, Halcyon Lunch, qui devait à l’origine être une histoire courte, surprend, et l’auteur nous embarque dans une histoire qui sent bon l’ovni. Entre une fille qui gobe tout ce qui passe et des personnages s’amusant à piocher dans la culture otaku pour se parler, tout est fait pour nous arracher plus d’un sourire. Mais attention, Halcyon Lunch n’est pas un délire d’auto-satisfaction. Loin de là.
Le mécanisme de son humour est tout d’abord bien huilé. Suivre le personnage principal, Gen, nous amène à confronter la mentalité d’un loser de 40 ans face à une situation qui le dépasse (et qu’il ne semble pas mesurer). Cet ancien entrepreneur se trimbale donc une vie de famille ratée sur la conscience, un rôle de père à moitié assumé, et doit diriger une troupe composée d’aliens, d’un chien-mecha (!) et d’un ami lui ayant escroqué un sacré paquet d’argent. Il doit donc conjuguer ce fardeau avec les pouvoirs de la belle Hyos, capable d’avaler et de vomir ce qu’elle avale, pour se sortir de cette panade. Ainsi, et en dépit des nombreux dialogues, chaque scène prend vie car les échanges fusent au rythme des reproches. Invectives ou références à notre culture, le tout conserve une véritable fraîcheur. De Jojo’s Bizarre Adventure à Blame! en passant par Yoko Kanno et Kenji Ôba, la palette est large et varié pour nous amener loin du 9e art. Qu’il s’agissent d’hommages francs ou de fines parodies, les clins d’œil sont placés avec suffisamment d’intelligence pour se mêler habilement à la lecture. Sur ce point, nous pouvons souligner toute la qualité du travail de traduction d’Aurélien Estager. D’autant qu’à cela, s’ajoute les remarques faites aux lecteurs. On pense notamment aux assistants qui interviennent pour alerter l’auteur d’un manque de trames, ou lorsqu’un personnage livre son analyse sur le contenu d’une page que l’on vient de lire. L’effet est très réussi.
Les petits plats dans les grands
En fond, Halcyon Lunch offre aussi plus d’épaisseur qu’il n’y parait. Tout d’abord par ce que la dramaturgie n’est pas effacée de l’esprit de l’auteur. Ne l’oublions pas, Hiroaki Samura aime faire souffrir ses personnages (femme-objet vous avez dit ?), poussant dans ses derniers retranchements les limites humaines. Ici, la pilule passe plus facilement, l’ambiance d’Halcyon Lunch se voulant plus édulcorée. Reste que les symboliques sont nombreuses, et que le destin des familles concernées est bien plus terrible que ce que l’on croit. Nous vous laissons la surprise pour vous faire votre propre avis (mais nous pouvons en discuter sur le forum !)
Quelque part, Halcyon Lunch, c’est un peu le Level-E d’Hiroaki Samura. Bien que Togashi nous avait habitué à montrer sa folie, Hiroaki Samura avait aussi, via les fins de tome de L’habitant de l’infini, dévoilé sa fourberie. La force du père de Manji est de ne jamais mettre de côté son esthétique. En toute transparence, l’auteur avoue que tel ou tel choix de plan est plus facile à dessiner, mais jamais il ne se laisse aller à une évidente facilité. Soyez rassurés, les fans de l’auteur retrouveront tout le charme esthétique de Samura, à commencer par son saisissant jeu de mains, son amour pour les vues plongées, et le naturel de ses poses.
Au rayon des bémols, nous pouvons relever un second tome un petit moins pimpant. La faute, certainement, à un effet de surprise moindre, et certains running gags qui s’essoufflent. Aussi, pour donner un sens à cet exutoire, Samura doit prendre le temps de rafistoler son récit. Un passage qui ne s’exonère pas de planches narrativement très (trop ?) riches. Mais c’est l’idée qui veut ça. Pour déstabiliser, il faut être déstabilisant.
Nous savions Hiroaki Samura maître en matière de seinen, il a visé juste pour nous offrir une comédie résonnant comme une bouffée d’air frais, à mille lieux de ce que nous offre le marché. Nous touchons là aussi l’autre point sensible d’Halcyon Lunch. Pour l’apprécier à point et bien le digérer, il faut avoir un certain kilométrage au compteur. Les notes en fin de tome, et le formidable travail d’édition de Sakka, nous aident cependant à resituer certains passages, mais pas à nous mâcher le travail. Ce type d’oeuvre, ça se mérite !
La tête pleine d'idées et la critique acerbe, Hiroaki Samura s'amuse à nous servir une oeuvre des plus divertissante. Maligne dans son humour, habile dans sa mise en scène, créative dans sa narration et collectionnant les références avec goût, Halcyon Lunch est plus qu'une folle curiosité : elle est un entremets que l'on grignote plusieurs fois.
"Lorsqu'on plonge un puceron dans du lait, il se noie". Il en va de même de pour ce manga.
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Graphisme8
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Scénario8
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Originalité9.5
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Audace8.5
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Découpage7
- AuteursHiroaki Samura
- Editeur VFSakka / Casterman
- Editeur VOKôdansha
- Genrecomédie, science-fiction
- Typeseinen
- Date de sortie27/04/2016
- Prix12.95 euros €
- Nombre de pages146 et 208
- Impression 21 x 1,8 x 15 cm
- Lien d'aperçuhttp://www.animeland.com/2016/04/21/sakka-10-pages-a-lire-pour-halcyon-lunch/
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